La fable de la transmission arabe du savoir antique

Publié le par Veritas

Il existe une légende fausse mais tenace. Légende qui a encore été reprise récemment par le journaliste Henri Tincq, dans l'édition du 27 novembre, du journal "Le Monde". Celui-ci déclare en effet :

"Ils se disent dépossédés (les intellectuels musulmans), par leurs intégristes, de cet héritage de la raison grecque que l'islam (le philosophe Averroès) avait pourtant transmis à la chrétienté médiévale."

Rien n'est plus faux, rien n'est plus mensonger. Mais avant d'entrer dans le vif du sujet étudions simplement un détail qui a son importance. Lorsque certains intellectuels occidentaux veulent nous imposer leur vision à l'eau de rose d'un islam tolérant, ouvert à la raison et à la philosophie, ils reprennent toujours la même personnalité, Averroès, médecin, juriste et philosophe arabe espagnol (1126-1198). Il est quand même curieux que sur une civilisation plus que millénaire nos thuriféraires de l'islam en soit réduit à citer le même intellectuel pour cautionner leurs affirmations. Quelques fois, il est vrai, ils citent Avicenne. Mais je n'ai pas souvenir que l'histoire du rapport entre la philosophie occidentale et la chrétienté se réduise à un individu. Curieux ? Non, car cela illustre malheureusement ce qu'est l'islam : l'ennemi de la raison par sa capacité à scléroser tout débat, toute controverse scientifique, toute recherche qui s'écarterait des révélations coraniques. D'ailleurs c'est tellement vrai que nos braves musulmans de profession oublient toujours de préciser, lorsqu'ils invoquent Averroès, que ce dernier fut, en raison de ses idées audacieuses, condamné en son temps par les tenants de l'orthodoxie coranique qui lui reprochait de déformer les préceptes de la foi et du Coran. Averroès tomba en disgrâce vers 1195, il dut fuir, se cacher, vivre dans la clandestinité écarté de son travail. Rappelé à Marakkech au Maroc, il y sera emprisonné. Son étude des écrits d'Aristote l'avait conduit à séparer radicalement raison et foi, la Révélation de la Foi n'étant accessible qu'à l'intellect actif. C'est ce qui causa sa disgrâce. Dans la civilisation islamique Averroès fut l'exception qui confirme la règle.

Averroès

Revenons maintenant à cette fable de la transmission arabe du savoir antique. Celle-ci affirme que l'héritage de la Grèce et de Rome fut complétement ignoré de l'Occident jusqu'à la Renaissance. Période durant laquelle cet héritage fut à nouveau étudié grâce à la transmission de ce savoir par les Arabes qui, durant cette obscurité intellectuelle en Europe, avaient su traduire et exploiter les textes antiques. Pour répondre à cette fable je laisse la parole à Jacques Heers, directeur du Département d'études médiévales de Paris-Sorbonne :

"Nos livres parlent volontiers des savants et traducteurs de Tolède qui, au temps des califes de Cordoue, auraient étudié et fait connaître les auteurs anciens. Mais ils oublient de rappeler que cette ville épiscopale, comme plusieurs autres et nombre de monastères, était déjà, sous les rois barbares, bien avant l'occupation musulmane, un grand foyer de vie intellectuelle toute pénétrée de culture antique. Les clercs, demeurés chrétiens, très conscients de l'importance de transmettre cet héritage, ont tout simplement poursuivi leurs travaux sous de nouveaux maîtres (...) Il est clair que les grands centres d'études grecques ne se situaient nullement en terre d'islam mais à Byzance. Constantin Porphyrogénète, empereur (913-951), s'était entouré d'un cercle de savants, encyclopédistes et humanistes (...) Michel Psellos (mort en 1078) commentait Platon et tentait d'associer le christianisme à la pensée grecque. Nulle trace dans l'Eglise, ni en Orient ni en Occident, d'un quelconque fanatisme, alors que les musulmans eux-mêmes rapportent nombre d'exemples de la fureur de leurs théologiens, et de leurs chefs religieux contre les études profanes (...) Au XIème siècle, en Espagne, al-Mansour, pour gagner l'appui des théologiens fit brûler par milliers les manuscrits grecs et romains de la grande bibliothèque de Cordoue. L'Occident chrétien n'a connu aucune crise de vertu de ce genre (...) Les chrétiens n'avaient nul besoin de l'aide des Arabes pour l'étude des auteurs grecs et romains, ayant à leur disposition, dans leurs pays, des fonds de textes anciens, latins et grecs, recueilli du temps de l'empire romain et laissés en place. De toute façon, c'est à Byzance, non chez les Arabes, que les clercs de l'Europe sont allés parfaire leur connaissance de l'Antiquité (...) Dans l'Espagne des Wisigoths, les monastères (Dumio près de Braga, Agaliense près de Tolède, Caulanium près de Mérida), les écoles épiscopales (Séville, Tarragone, Tolède), les rois et les nobles recueillaient des livres anciens pour leurs bibliothèques. Ce pays d'Ibérie servait de relais sur la route de mer vers l'Armorique et vers l'Irlande où les moines, là aussi, étudiaient les textes profanes de l'Antiquité. (...) Rien n'est dit non plus des marchands d'Italie, de Provence ou de Catalogne qui, dès les années mille, fréquentaient Constantinople (...) Burgundio de Pise, fils d'une riche famille, a résidé à Constantinople de 1135 à 1140, chez des négociants. Il en a rapporté un exemplaire des "Pandectes", recueil des lois de Rome rassemblé par l'empereur Justinien. Fin helléniste, il a traduit les ouvrages savants de Gallien et d'Hippocrate et proposa à l'empereur Frédéric Barberousse un programme entier d'autres traductions des auteurs grecs de l'Antiquité (...) Rendre les Occidentaux tributaires des leçons servies par les Arabes est trop de parti pris et d'ignorance : rien d'autre qu'une fable, reflet d'un curieux penchant à se dénigrer soi-même."

Publié dans Désinformation

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