Le révélateur de la crise présidentielle en Turquie

Publié le par Veritas

7429824-p.jpgLa crise qui se déroule actuellement en Turquie entre laïques et islamistes a le mérite de souligner l'impasse diplomatique dans laquelle se sont enfermés les vingt-sept membres de l'Union européenne. Face aux rumeurs d'un coup d'état de l'armée turque, le commissaire européen à l'élargissement a en effet déclaré que le "respect de la démocratie était la condition essentielle de la candidature turque à l'UE." Mais la démocratie dont parle Olli Rehn n'est-elle pas une dangereuse chimère pour la Turquie ?

Pour comprendre la situation actuelle, il convient déjà de rompre avec le politiquement correct. Depuis l'arrivée au pouvoir à Ankara du parti de l'AKP, issu de la mouvance islamiste, les médias occidentaux n'ont eu de cesse de nous présenter les dirigeants de ce parti comme des "islamistes modérés". Sans se rendre compte de l'énormité de cette formule. Car par définition, un islamiste désigne un musulman extrêmiste. La traduction exacte pour "islamiste modéré" est donc "musulman extrêmiste modéré" !!! A force de vouloir se complaire dans le politiquement correct on tombe dans l'absurde et on se condamne à ne pas comprendre le présent.

Cette manipulation sémantique cache en effet l'essentiel : les islamistes au pouvoir n'ont jamais renié leur idéologie. Ils l'ont simplement adapté aux circonstances. Car dans la Turquie laïque l'armée continue de tirer les ficelles du pouvoir. Elle est la gardienne du temple républicain. L'ultime rempart du modèle voulu par le fondateur de la Turquie moderne, Mustafa Kemal Atatürk. Dans ces conditions les islamistes au pouvoir ne peuvent que composer. Il leur est très difficile, voir impossible, d'imposer la réislamisation en profondeur de la société turque qu'ils appellent de leurs voeux. Le débat sur le foulard symbolise parfaitement le dilemme permanent des islamistes : imposer leur programme au risque de voir l'armée mettre fin à leur exercice du pouvoir ou gagner du temps en espérant une modification de l'équilibre des forces.

Pour les islamistes cet espoir a pris la forme de l'Union européenne. Que cela soit le Premier ministre turque, Recep Tayyip Erdogan, ou son ministre des affaires étrangères, Abdullah Gül, nul n'est plus européiste dans la classe politique turque que les élites islamistes. Pour la simple et bonne raison que la Turquie ne pourra intégrer l'Union européenne qu'à la condition que l'armée turque rentre dans ses casernes et ne joue plus aucun rôle politique à l'image des démocraties européennes. Les conditions d'adhésions feront que l'épée de Damoclès au-dessus des islamistes ne sera plus de mise. C'est paradoxal mais la Turquie laïque a toute les chances de disparaître le jour même ou la Turquie sera acceptée au sein du club européen. Ce qui explique pourquoi l'Europe fut huée dimanche par les manifestants défendant le régime laïque de la Turquie.

Quel que soit le vainqueur de ce bras de fer anatolien, l'Europe se trouve face à un dilemme :

- soit le coup d'état militaire, que celui-ci prenne la forme d'une intervention directe ou indirecte (annulation du scrutin par la cour constitutionnelle sur pression de l'armée) met fin aux ambitions présidentielles du candidat de l'AKP et il deviendra impossible pour Bruxelles de justifier l'intégration à l'Union d'un pays dans lequel les militaires maintiennent une emprise totale sur l'appareil politique et judiciaire.

- soit les islamistes parviennent à imposer leur candidat à la présidence du pays, grâce en partie aux pressions des Européens, et après avoir remporté les législatives anticipées qui découleront de cette crise et le risque est grand de voir une Turquie réislamisée en profondeur adhérer à l'Union européenne. 

Pour rappel, c'est la même Union européenne, sous l'impulsion de Jacques Chirac, qui avait mis l'Autriche en l'an 2000 (alors membre de l'UE) en quarantaine après l'accession au pouvoir du parti d'extrême-droite de Jorg Haider. Il serait difficilement compréhensible que cette même Union permette l'adhésion d'un pays dont l'idéologie du parti au pouvoir ne respecte ni les droits des minorités religieuses, ni les droits des femmes. Monsieur Olli Rehn ferait bien de se souvenir que le respect de la démocratie n'est pas une garantie absolu. Après tout Adolf Hitler est bien arrivé au pouvoir par les urnes.

Publié dans Dossier Turquie

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